L’intelligence, un concept fondamental à connaître pour comprendre le monde (Partie I)

 Si je vous parle de QI et que vous ne vous êtes jamais réellement renseigné sur le sujet, il y a de fortes chances pour que vous pensiez que le QI ne mesure rien de pertinent ou encore que l’intelligence prend des formes multiples et qu’elle ne peut pas se résumer à un chiffre. Pourtant, c’est faux.

 L’intelligence est probablement l’un des sujets sur lesquels l’écart est le plus grand entre ce qu’imagine le grand public et ce qui fait consensus dans la communauté scientifique. En effet, les psychologues qui étudient le QI s’accordent depuis bien longtemps sur la validité de sa mesure et la pertinence de cette notion, comme en témoigne dès 1987 le sondage effectué par Snyderman et Rothman.

 Commençons par clarifier un point essentiel : si tout le monde imagine assez bien ce que signifie “l’intelligence”, il est difficile d’en avoir une définition unique et exacte. C’est la raison pour laquelle les spécialistes ont introduit la notion “d’intelligence générale”, qui est en fait la plus pertinente. C’est donc à elle que l’on va se référer quand on parlera d’intelligence, et c’est elle que le QI mesure. On peut dire que l’intelligence générale est une mesure de l’efficacité du fonctionnement cognitif d’un individu.

 Pour voir les choses simplement, le QI est une moyenne des performances des principales capacités cognitives d’une personne. Celles-ci sont notamment : la maîtrise du langage, les capacités visuo-spatiales, le raisonnement, la mémoire, le calcul, la rapidité… Dans un premier temps, on peut donc voir le QI comme une “moyenne générale” appliquée aux capacités cognitives.

 Mais en réalité, ce qui fait la pertinence de cette notion, et qu’il est essentiel d’avoir à l’esprit pour ne pas raconter n’importe quoi, est que toutes ces capacités cognitives sont corrélées entre elles. Et ces corrélations sont très élevées, souvent de l’ordre de 0,6 à 0,9 (cf “The g factor” d’Arthur Jensen). Cela signifie donc que les gens qui performent bien sur quelques tâches cognitives ont également tendance à bien performer sur toutes les autres, et vice-versa. On trouve une corrélation positive entre toutes les “formes d’intelligence”, et c’est la raison pour laquelle nous pouvons parler de l’intelligence générale.

 Pour être plus précis, les psychologues ont introduit la notion de facteur g, qui est le facteur commun à toutes les facultés mentales, ou plus précisément la variance partagée existant entre plusieurs mesures de capacité cognitives. Sachant cela, on comprend qu’il suffit de mesurer quelques aptitudes (via un test) pour obtenir une estimation correcte de l’intelligence (générale), c’est-à-dire du facteur g, qui est le QI.

 Un point important à noter est que cette intelligence mesurée par le QI correspond effectivement bien à ce que nous entendons par intelligence au sens usuel du terme. Si l’on interroge par exemple un grand nombre de personnes sur ce qu’est l’intelligence selon eux, et qu’on construit un test à partir de leurs réponses, ce test sera corrélé avec les tests de QI standards! Je vous renvoie à ce propos vers les travaux de Murphy, Hall et Colvin. 

Je conclue cet article en répondant à 3 questions ou objections classiques sur ce sujet.

Quel crédit apporter à la théorie des intelligences multiples de Gardner ?

 Cette théorie est largement appréciée par le grand public en raison de son caractère démagogique, puisqu’elle elle permet d’imaginer que “chacun est intelligent à sa manière”. Le problème de cette théorie est qu’elle ne tient pas compte des très importantes inter-corrélations entre “les différentes intelligences”, ne faisant qu’apporter de la confusion à la notion d’intelligence, sans autre avantage. En réalité, les intelligences multiples mesurables ne sont que des fonctions cognitives variées, c’est-à-dire des composantes de l’intelligence générale, corrélées entre elles. Lynn Waterhouse a montré dans son étude de 2006 (Waterhouse, 2006) que la théorie des intelligences multiples n’était pas soutenue par les résultats de la recherche sur la cognition.

Qu’en est-il de l’intelligence émotionnelle ou quotient émotionnel (QE) ?

 L’intelligence émotionnelle est un concept largement moins valide que le quotient intellectuel du point de vue de la psychologie, qui serait une forme de mélange entre le facteur g et la personnalité (Shulte et al., 2004). Mais le QE dispose d’un pouvoir nettement moins prédictif que le QI (Joseph & Newman, 2010), ce qui rend le concept peu pertinent. Il est préférable d’étudier à la fois l’intelligence via le QI, et la personnalité via un modèle adapté, tel que le modèle du Big Five.

Est-ce qu’il est possible d’améliorer son score à un test de QI en se préparant spécifiquement au test ?

 C’est effectivement possible, mais les améliorations aux tests ne se concrétisent pas dans les performances dans la vie réelle, ce qui confère à cette initiative un intérêt très limité. Par ailleurs, cela n’invalide en rien la pertinence de la notion d’intelligence et sa mesure par un test de QI. Notons également que la mesure peut être faussée si la personne qui passe le test est très fatiguée, ou est en dépression par exemple.

Maintenant que nous avons défini à quoi correspond précisément le QI, nous pouvons nous intéresser à sa validité en tant que concept tangible et pertinent au quotidien, en étudiant les différentes corrélations sociales, mais aussi biologiques du QI. C’est ce que nous allons faire dans les prochains articles de cette série consacrée au QI et à l’intelligence.

Sources : 

  • Jensen, A. (1998) The g Factor: The Science of Mental Ability
  • Joseph, D. L., & Newman, D. A. (2010). Emotional intelligence: An integrative meta-analysis and cascading model. Journal of Applied Psychology, 95(1), 54–78.
  • Murphy, N. A., Hall, J. A., & Colvin, R. C. (2000, June). Judging a book by its cover: Accuracy in intelligence judgments. Poster session presented at the annual American Psychological Society Conference, Miami, FL
  • Shulte et al. (2004) “Emotional intelligence: not much more than g and personality” Personality and Individual Differences 37 (2004) 1059–1068
  • Snyderman, M., & Rothman, S. (1987). Survey of expert opinion on intelligence and aptitude testing. American Psychologist, 42(2), 137–144.
  • Waterhouse, L. (2006). Multiple intelligences, the Mozart effect, and emotional intelligence: A critical review. Educational Psychologist, 41(4), 207–225.

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