“Le QI est génétique”, “l’intelligence est héréditaire” : le titre que j’ai choisi volontairement provocateur annonce l’idée principale de l’article, mais rigoureusement il ne signifie pas grand chose sans apporter de précisions. En réalité, le caractère héréditaire ou génétique du QI s’étudie principalement à partir d’une notion fondamentale qu’on appelle l’héritabilité.
Avant de détailler ce que signifie ce concept, je rappelle les conclusions des mes 2 articles précédents sur le QI, que je vous invite à lire :
- Le concept d’intelligence en psychologie renvoie à l’intelligence générale, qui est une mesure de l’efficacité du fonctionnement cognitif d’un individu. C’est une moyenne des performances des principales capacités cognitives d’une personne.
- Toutes les capacités cognitives d’une personne sont corrélées entre elles (entre 0,6 et 0,9), d’où la pertinence de la notion de QI.
- Le facteur g est le facteur commun à toutes les facultés mentales, ou plus précisément la variance partagée existant entre plusieurs mesures de capacité cognitives.
- Les psychologues qui étudient le QI s’accordent depuis longtemps sur la validité de sa mesure et la pertinence de cette notion.
- Le QI est positivement corrélé à des dizaines de traits objectivement désirables dans la vie, telles que le succès financier, le statut socio-économique, le niveau d’étude, les résultats scolaires, le caractère coopératif, la performance au travail, la santé mentale, la santé physique, l’espérance de vie et le comportement pro-social.
L’héritabilité du QI : le moyen de déterminer la “part génétique” de l’intelligence
Maintenant que ces fondements sont rappelés, nous pouvons aborder le sujet de cet article, qui va tenter de répondre à la question : “est-ce que l’intelligence est innée ou acquise ?”.
Pour étudier est le caractère génétique de l’intelligence, en commençant par définir le concept d’héritabilité du QI. De façon technique, l’héritabilité correspond à la part de la variance génétique dans la variance phénotypique de la population, c’est-à-dire la part de variance du QI attribuable aux différences génétiques entre individus de cette population divisée par la variance totale du QI dans cette population.
Pour retenir une définition plus simple mais néanmoins correcte, on pourrait dire que l’héritabilité du QI est “la part des différences de QI au sein d’une population qui est due à des différences génétiques”.
Par conséquent, l’héritabilité est toujours comprise entre 0 (“toutes les différences au sein de la population sont dues à des différences d’environnement”) et 1 (“toutes les différences au sein sont dues à des différences génétiques”). On constate que l’héritabilité peut se calculer sur n’importe quel trait de la vie d’une personne, en particulier aux traits de personnalité.
Au sein de la communauté scientifique, personne ne conteste les grandes différences d’intelligence qui existent entre les individus d’une même population. On sait que ces différences s’expliquent à la fois par la génétique et par l’environnement. La question qui se pose quant au caractère génétique des facultés mentales est de savoir quelle proportion de ces différences provient de différences génétiques.
Actuellement, les psychologues s’accordent à dire que les variations individuelles de l’intelligence s’expliquent principalement par des différences génétiques entre les individus.
Déjà en 1994, 52 spécialistes de l’intelligence et de la psychométrie déclaraient prudemment dans “Mainstream science on intelligence: An editorial with 52 signatories, history, and bibliography” que “la génétique joue un rôle plus important que l’environnement dans la création de différences entre les individus”. Depuis cette date, l’estimation scientifique de l’influence des gènes sur le QI n’a fait qu’augmenter.
L’intelligence est à 80% héréditaire?
A l’âge adulte, on estime que l’héritabilité de l’intelligence est située entre 70% et plus de 80%, ce qui signifie que 80% des différences individuelles d’intelligence et de QI au sein de la population sont dues à la génétique.
Dans Bouchard (2013), on peut lire que “l’héritabilité du QI atteint une asymptote d’environ 0,80 à l’âge de 18-20 ans et se maintient à ce niveau jusqu’à l’âge adulte”. Cela correspond effectivement aux nombres calculés pour le QI dans plusieurs études : 83% (Jacobs et al., 2007), de 71% à 87% pour plusieurs pays développés (Wright et al., 2001), de 73% à 85% (Edmonds et al., 2008). Panizzon et al. (2014) estime l’héritabilité du facteur g d’intelligence générale à 86%.
En fait, on peut même noter qu’aucun trait psychologique n’est aussi héréditaire que l’intelligence. Cela semble être vrai de manière plus générale pour la cognition. Dans la plus grande étude médicale jamais réalisée (45 millions de personnes), les chercheurs de la Harvard Medical School ont découvert que les pathologies cognitives étaient les plus susceptibles d’avoir une influence génétique et les moins susceptibles d’avoir une influence environnementale.
L’effet Wilson sur le QI : l’héritabilité de l’intelligence augmente avec l’âge!
Le plein effet de l’héritabilité se produit au milieu de l’âge adulte. Cela est dû à ce que l’on appelle “l’effet Wilson“, un principe de la génétique du comportement selon lequel, à mesure que les gens vieillissent, leurs gènes exercent une plus grande influence sur leur QI, et l’influence des facteurs environnementaux diminue.
C’est un résultat totalement contre-intuitif et qui met à mal les certitudes des environnementalistes selon qui tout phénomène s’explique toujours par l’environnement : lorsque les enfants sont plus jeunes, les facteurs environnementaux ont une influence plus importante sur le QI, mais cette influence commence à s’estomper après la puberté et les gènes finissent par très largement dominer.
“Il serait raisonnable de supposer qu’au cours de notre vie, les expériences […] ont un effet cumulatif sur l’intelligence, qui peut même écraser les prédispositions génétiques précoces. Cependant, pour l’intelligence, l’héritabilité augmente de façon linéaire, passant de (environ) 20% dans la petite enfance à 40% dans l’adolescence, et à 60% au début de l’âge adulte. Certaines données suggèrent que l’héritabilité pourrait atteindre 80 % à l’âge adulte.”
Plomin & Deary, 2015
L’effet Wilson est notamment expliqué dans “The Wilson Effect: The Increase in Heritability of IQ With Age” (Bouchard, 2013). Il existe maintenant un consensus sur le fait “que le QI est significativement héréditaire à partir de 7 ans au moins… qu’à 10 ans, la variance génétique est plus importante que la variance environnementale partagée… et que l’héritabilité augmente avec l’âge jusqu’à la fin de l’âge adulte”.
L’augmentation de l’héritabilité de l’intelligence est particulièrement significative entre la petite enfance et l’adolescence.
Bouchard note également : “Les conclusions qui soutiennent l’effet Wilson sont très robustes. […] Elles ne dépendent pas d’un modèle unique, […] sont très similaires dans plusieurs pays occidentaux industrialisés, [et] beaucoup d’échantillons sont assez complets, de sorte que leurs résultats s’appliquent probablement à un large éventail de situations”.
Ajoutons à cela que l’héritabilité de l’intelligence semble être fondamentalement la même pour tous, du plus faible au plus brillant : une étude récente portant sur 11 000 paires de jumeaux a révélé que l’héritabilité des 15% les plus intelligents était sensiblement la même que pour l’ensemble de l’échantillon (Haworth et al., 2009).
Etant donnée la base génétique prédominante du QI, il est également peu surprenant de voir que l’intelligence soit l’une des caractéristiques comportementales les plus stables, puisqu’une corrélation de 0,63 a été établie entre l’intelligence à 11 ans et à 79 ans dans l’étude de Deary et al. (2000). En tenant compte de l’atténuation des capacités mentales à cet âge, la corrélation a été ré-ajustée à 0,73.
Les gènes de l’intelligence
Maintenant que nous avons fixé quelles étaient les choses à savoir sur l’héritabilité, continuons notre étude sur la génétique du QI en nous intéressant à ce qu’on pourrait appeler improprement les “gènes de l’intelligence”.
Ces dernières années, des progrès scientifiques ont permis aux généticiens d’identifier certains des gènes et variantes génétiques spécifiques associés à l’intelligence, ce qui représente la plus grande avancée de la recherche sur les capacités mentales depuis des décennies.
Plus d’un millier de variantes génétiques spécifiques associées à l’intelligence ont été identifiées récemment grâce à des “genome-wide association studies” (GWAS) c’est-à dire des études d’association pangénomique, puis leur valeur prédictive a été quantifiée par la notation du risque polygénique (polygenic risk score – PRS).
On peut citer par exemple “Genome-wide association meta-analysis of 78,308 individuals identifies new loci and genes influencing human intelligence” (Sniekers et al., 2017), une étude GWAS sur 78 308 individus qui a identifié de nouveaux loci et gènes influençant l’intelligence humaine. De nombreuses autres études du mêmes genre effectuées au cours de ces dernières années ont abouti à des résultats analogues (Hill et al., 2018; Nagel et al., 2018; Davies et al., 2018; Savage et al., 2018; Allegrini et al., 2019).
Dans les GWAS, on prélève des échantillons d’ADN sur de nombreux individus et on voit quelles variantes génétiques ont tendance à être corrélées avec la variable d’intérêt (par exemple, l’intelligence). La composante génétique du QI est répartie sur des centaines de régions de l’ADN, chacune apportant une contribution minime. En analysant les gènes spécifiques qui influencent l’intelligence, les scientifiques peuvent calculer des “scores de risque polygénique” (PRS) pour prédire le QI.
Citons par exemple “Interpreting polygenic scores, polygenic adaptation, and human phenotypic differences” de Rosenberg et al. (2019) :
Chaque variante [génétique] identifiée par [GWAS] comme statistiquement associée au [QI] peut se voir attribuer une taille d’effet, représentant l’ampleur estimée de l’augmentation du trait […] ou de la responsabilité pour le trait […] qui est associée à la possession d’une copie de la variante.
[Un] score polygénique pour le génome d’une personne représente une agrégation, généralement sous la forme d’une somme, des tailles d’effet estimées des variantes génétiques dans le génome de cette personne.
Alors qu’il y a 20 ans, les chercheurs travaillaient avec des échantillons de quelques centaines de personnes, aujourd’hui, la génomique permet d’analyser des centaines de milliers de marqueurs génétiques chez des centaines de milliers d’individus.
La puissance de prédiction des GWAS et du PRS
Pour l’instant, les GWAS ont réussi à identifier les différences de séquences du génome qui représentent au moins 20% de la part d’héritabilité l’intelligence (Plomin & von Stumm, 2018), et ces pourcentages augmenteront à mesure que des centaines (voire des milliers) d’associations supplémentaires seront trouvées. Une étude récente “utilisant des données génétiques moléculaires imputées provenant d’individus non apparentés” a montré “qu’environ 50% des différences d’intelligence peuvent être expliquées par des effets génétiques lorsqu’un plus grand nombre de SNP rares sont inclus” (Hill & Arslan et al., 2018). (Les SNP sont des variations génétiques.)
Les modèles basés sur les GWAS/PRS sont actuellement les plus puissants outils en termes de prédiction de l’intelligence, dans les sciences comportementales (Allegrini et al., 2019). Pour être plus clair : ces modèles génétiques offrent plus de valeur prédictive que des indicateurs tels que le niveau d’éducation ou le statut professionnel des parents !
Et ils ne feront que gagner en puissance et en précision à mesure que les outils continueront de s’améliorer. Le célèbre psychologue et généticien Robert Plomin, dans son livre Blueprint (2018), écrivait : “Il y a fort à parier que la puissance prédictive de la plupart de ces scores [de risque polygénique] doublera au moins au cours des prochaines années”.
Selon Plomin & von Stumm (2018), les scores polygéniques sont des prédicteurs uniques à deux égards. Premièrement, ils prédisent les résultats psychologiques et comportementaux aussi bien dès la naissance que plus tard dans la vie. Deuxièmement, les scores polygéniques sont des prédicteurs causaux en ce sens que rien dans notre cerveau, notre comportement ou notre environnement ne peut modifier les différences de séquence d’ADN que nous avons héritées de nos parents.
Les résultats en génétique du QI ont été colossaux grâce aux progrès rapides réalisés par les GWAS. En 2013, l’une des premières études GWAS (Rietveld, Cornelius et al., 2013) identifiait 3 SNP indépendants associés aux capacités cognitives. 5 ans plus tard, une étude sur plus d’un million d’individus (Lee et al., 2018) permettait de détecter plus de 1200 SNP liés à l’intelligence!
La base génétique du QI ainsi que la puissance des GWAS/PRS sont désormais si solides que les entreprises commencent à utiliser la science pour créer des tests destinés à aider les parents à déterminer le QI des enfants à naître, et des tests pour les adultes devraient bientôt suivre à mesure que ces techniques s’améliorent.
Les GWAS vont révolutionner la façon dont les scientifiques font des recherches sur les gènes et l’intelligence.
Est-ce que le QI est héréditaire ? : ce qu’il faut retenir
Résumons les principaux enseignements à retenir de cet article :
- L’intelligence (donc le QI) dépend à la fois de facteurs génétiques et environnementaux.
- Les psychométriciens s’accordent désormais à dire que la génétique joue un rôle plus important que l’environnement dans la création de différences de QI entre les individus.
- Pour mesurer la “part génétique dans les différences individuelles d’intelligence”, on utilise le concept d’héritabilité.
- L’héritabilité de l’intelligence augmente de façon linéaire, passant d’environ 20% dans la petite enfance à 40 à 50% à l’adolescence, puis à 60% au début de l’âge adulte, jusqu’à 80% (voire plus) à l’âge adulte. C’est l’effet Wilson.
- Des progrès scientifiques récents (et en cours) colossaux en génomique ont permis d’identifier en quelques années des centaines de variantes génétiques (SNP) associés à l’intelligence.
- Ces modèles basés sur les GWAS/PRS sont actuellement les outils qui prédisent le mieux l’intelligence, et ils vont commencer à être utilisés pour estimer le QI futur d’embryons.
Cet article était le 3e de la série consacrée au QI et à l’intelligence.
Sources :
- Allegrini, A. G., Selzam, S., Rimfeld, K., von Stumm, S., Pingault, J. B., & Plomin, R. (2019). Genomic prediction of cognitive traits in childhood and adolescence. Molecular Psychiatry.
- Bouchard, T. J., & McGue, M. (2002). Genetic and environmental influences on human psychological differences. Journal of Neurobiology, 54(1), 4–45.
- Bouchard, T. J. (2004). Genetic Influence on Human Psychological Traits: A Survey. Current Directions in Psychological Science, 13(4), 148–151.
- Bouchard, T. J. (2013). The Wilson Effect: The Increase in Heritability of IQ With Age. Twin Research and Human Genetics, 16(05), 923–930.
- Davies, G., Lam, M., Harris, S.E. et al. Study of 300,486 individuals identifies 148 independent genetic loci influencing general cognitive function. Nat Commun 9, 2098 (2018).
- Deary IJ, Whalley LJ, Lemmon H, Crawford JR, Starr JM . The stability of individual differences in mental ability from childhood to old age: Follow-up of the 1932 Scottish Mental Survey.Intelligence 2000; 28: 49–55.
- Edmonds, C. J., Isaacs, E. B., Visscher, P. M., Rogers, M., Lanigan, J., Singhal, A., Deary, I. J. (2008). Inspection time and cognitive abilities in twins aged 7 to 17 years: Age-related changes, heritability and genetic covariance. Intelligence, 36(3), 210–225.
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- Hill, W.D., Marioni, R.E., Maghzian, O., Ritchie, S.J., Hagenaars, S.P. et al. (2018). A combined analysis of genetically correlated traits identifies 187 loci and a role for neurogenesis and myelination in intelligence. Molecular Psychiatry, published online.
- Hill, W.D., Arslan, R.C., Xia, C. et al. Genomic analysis of family data reveals additional genetic effects on intelligence and personality. Mol Psychiatry 23, 2347–2362 (2018).
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- Sniekers, S., Stringer, S., Watanabe, K., Jansen, P. R., Coleman, J. R. I., et al. (2017). Genome-wide association meta-analysis of 78,308 individuals identifies new loci and genes influencing human intelligence. Nature Genetics, 49, 1107–1112.
- Rietveld, Cornelius A et al. “GWAS of 126,559 individuals identifies genetic variants associated with educational attainment.” Science (New York, N.Y.) vol. 340,6139 (2013): 1467-71.
- Noah A Rosenberg, Michael D Edge, Jonathan K Pritchard, Marcus W Feldman, Interpreting polygenic scores, polygenic adaptation, and human phenotypic differences, Evolution, Medicine, and Public Health, Volume 2019, Issue 1, 2019, Pages 26–34
- Wright, M., De Geus, E., Ando, J., Luciano, M., Posthuma, D., Ono, Y., … Boomsma, D. (2001). Genetics of Cognition: Outline of a Collaborative Twin Study. Twin Research, 4(1), 48–56.
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